samedi 20 juin 2009

Sunn o))) la petite mort



Sunn O))) est le groupe le plus imposant, destructeur et chaotique. La messe donnée en ouverture de Villette Sonique reste figée comme la chose la plus dingue entendue et vue jusqu’à maintenant. Un monolithe sonore indestructible et intemporel qui vous tombe dessus, vous submerge tout entier, recouvrant un à un tous les pores de votre peau, jusqu’à ce que vos orifices saignent – suffocations palpitations c’est une mise en danger improbable de tout le physique et tout l’esprit. C’est plus qu’un rouleau compresseur : la où ce dernier vous aplatit la musique de Sunn O))) implose dans chaque partie du corps, le cou (contracté), les oreilles (perdues à jamais), les yeux (brouillés), le cœur bien sûr (palpitations). Corps cœur et tête, la trinité déchiquetée explose violemment en mille morceaux après un concert de Sunn O))), soit un bon moment pour faire peau neuve et quitter son ancienne mue.

La Grande Halle de la Villette est un lieu immense en comparaison de la taille des Caves Le Chapelais (en pierre voûtée comme beaucoup de salle parisienne) où Fiasco System les avait fait jouer la dernière fois. En rien cela n’a affecté l’orgie sonore balancée à la tête de tous les pêcheurs présents, littéralement transformés horde de zombie massive – le light show appliqué à la foule m’a renvoyé rapidement à un tas d’images issues de Land of the Dead de Romero - magnifique où les ombres pourpres et rosées se dandinaient lentement, des silhouettes quasi-léthargiques en cours de procession devant deux prophètes invisibles la plupart du temps, élevés en demi-dieux sur leur scène beaucoup trop grande pour eux, et brouillardisée par un nuage oppressant de fumée.

Car Sunn O))) c’est aussi ça : un groupe paradoxalement hyper pudique, qu’on aperçoit jamais, enveloppés sous plusieurs couches de protection (habits de moines noir à capuche, fumée omniprésente + muraille d’amplis) ; inatteignable donc pour le public voué à manger de plein fouet les déflagrations hyper-soniques de fréquences ultra-customisées : basses qui grondent et qui vous ensevelis les organes (abdomen et ventre) – imaginez une tempête en plein océan dans vos intestins – et fréquences aigues et vilaines qui rongent petit à petit votre écorce épidermique (poils qui se hérissent) entamant bien violemment vos tympans fragiles par la même occasion. L’intérêt d’un live de Sunn O))) tient à un endroit, dans cette contradiction agressive entre le côté inévitable et imposant, monumental (voir majestueux) du son et leur mise en scène poussant à croire que les deux moines des ténèbres sont finalement pudibonds, voir à tous les coups un peu flippés du public (ils n’ont peut être tout simplement pas envie de s’embêter avec les états d’âmes du public – une fille a grimpé sur scène, étourdie et titubant, récupérée de justesse par un security man, les deux Sunn O))) : inébranlables – c’est sur ce n’est pas leur boulot). C’est ce côté presque érotique (le caché / le découvert) qui fait la force du live de Sunn O))), et surtout qui nous donne la force de tenir (excitation éprouvante).

Un autre point qui souligne la force d’un tel live c’est son caractère inévitablement religieux : une mise en scène bien étudiée (clandestin – le groupe/ découvert – le son) : habits, light show, et toutes les silhouettes angoissantes formées par le public, immobiles en plein recueillement métamorphosant par la même occasion la Grande Halle en pure Eglise païenne (entre mille et deux mille personnes dans la salle), avec fidèles prêts à se soumettre entièrement, corps et âmes, à ces deux puppets master, papes mutants de l’Onde sonore foudroyante - un homme à côté de moi tend les mains comme à l’église afin de recevoir sa bénédiction, il se prendra à la place encore un méchant coup de fréquence castratrice ; la majorité des personnes autour de moi ont les yeux fermés depuis déjà un bon moment. Un passage de recueillement assez inouï et inattendu, quarante cinq minutes de sacré immergé dans une nouvelle dimension.

Le dernier point attestant de la surpuissance du duo réside dans un parti pris où la musique n’est plus seulement à envisager comme un vecteur pop mais plutôt quasi-sportif, où le son ‘béton’ devient ami ou ennemi selon les cas, obstacle ou soutient au combo physique / esprit de tout être vivant y étant confronté – une fille évanouie, un grand type qui saignait d’une oreille à la fin, mes yeux qui picotaient et obstrués par je ne sais quoi, un ami dont le bras prit de tics soudain se contractait régulièrement. C’est un pur combat acharné et névrotique qui se livre au sein de chacun d’entre nous dans la salle, la Grande Halle sera à chacun son propre tombeau (ou caveau, on était nombreux) ou sa fenêtre de transition salvatrice vers un nouveau Ciel. Un live de Sunn O))) pousse forcément à un repli sur soi, mais teste à la fois notre propre capacité d’ouverture de dépassement d’un univers bien connu : le concert-scène rock traditionnel, en nous proposant simplement un autre chemin vers une manière d’expérimenter le live en général, avec de nouveau rites (immobile plutôt que le mouvement, en lutte physique permanente du début à la fin du show au lieu d’un hédonisme de fête).

Il faut voir et entendre un live de Sunn O))). Ces derniers peuvent prétendre à avoir repoussé (très loin) les frontières du live et de la musique : on ne sort pas indemne d’un concert de Sunn O))). De véritables bourreaux pour l’esprit et le physique, salutaires ou non, en tout cas une belle main tendue vers une nouvelle ligne d’horizon sonore et incandescente, tout à fait inédite. Sunn O))) est une parfaite petite mort.